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« C'est le devoir de L'Europe de lutter contre le dumping social »

Comme pour chaque construction de grand bateau va bientôt se reposer la question de la sous traitance étrangère à bas coût sur les chantiers. Cette semaine le Sénat a adopté une résolution à l'unanimité concernant le déplacement de main-d'oeuvre au sein de l'Europe. Le sénateur Yannick Vaugrenard est intervenu dans ce débat

Il a été expliqué  au Sénat la situation actuelle et les propositions de modification de la réglementation actuelle concernant les travailleurs déplacés.
De grands vides de réglementations existent, qui n'ont pas été anticipés alors que l'Europe avait déjà expérimenté des situations proches il y a bientôt 30 ans et n'avait, déjà, réagi que 10 ans plus tard.  Elle tente maintenant de les combler.
Une discussion comme celle de cette semaine a démontré que l'éthique peut être transversale dans les partis politiques, qu'une réglementation étudiée, dotée de moyens de contrôle sérieusement appliqués pourrait permettre une garantie des intérêts sociaux tant dans les pays d'origine que dans les pays d'accueil des travailleurs déplacés.

En 1996, soit 10 ans après l'entrée de la Grèce du Portugal et de l'Espagne, l'Europe s'était dotée d'un texte qui consacrait a consacré « le principe d'application du droit du pays d'accueil » sauf si le droit du pays d'envoi est plus favorable.
Il s'impose donc aux entreprises un certain nombre d'obligations minimales :  périodes maximales de travail, minimales de repos, congés annuels payés et les taux de salaire minimum.

Explosion du nombre connu des détachements

Il est difficile de quantifier  le détachement des travailleurs à l'échelle de l'Union puisque la base de données est constituée à partir des formulaires utilisés dans le cadre des détachements sécurité sociale. On ne compte donc que les travailleurs en règle.
Depuis 2006, le nombre de travailleurs détachés en France, (déclarés correctement), a été multiplié par quatre, passant de 37 924 salariés à 144 411 en 2011. Durant les deux derniers exercices le nombre de détachements a augmenté de 30 %  conséquence du grand élargisement ( 10 nouveaux pays entrent en Europe en  2004 ).  La construction (un tiers des travailleurs détachés), l'industrie (25 %) et le travail temporaire (20 %) sont les secteurs les demandeurs.
Le nombre de recours  aux travailleurs détachés a explosé au sein du bâtiment et des travaux publics : 63 659 connus en 2011 contre 5 865 en 2008. Une augmentation de 58 % a été enregistrée entre 2010 et 2011 dans le secteur agricole.
Le nombre de salariés français détachés est estimé à 300 000 personnes. Il a  diminué de près de 38 % depuis 2007. La France reste cependant le troisième pays « exportateur » de travailleurs détachés derrière la Pologne et l'Allemagne.

Peu de contrôles

Le ministère du travail estime que 220 000 à 300 000  salariés « low cost », sont présents sur le territoire français, sans avoir fait l'objet d'une déclaration et rémunérés dans le meilleur des cas selon le principe du pays d'envoi. Cependant  le nombre réduit de contrôles sur les détachements effectués par l'inspection du travail en 2011- entre 1 400 et 2 100 -  ne permet pas de confirmer de tels chiffres.


En période de crise, le sentiment de captation des emplois par des salariés étrangers  moins coûteux peut induire des tensions importantes. C'est  le cas dans le secteur du bâtiment  qui perdra environ 40 000 emplois en 2013. Le détachement des travailleurs est devenu synonyme d'optimisation sociale voire de dumping social.

Le texte aborde la question des contrôles mais de façon très limitée, il demande à  « mettre en place d'une coopération administrative entre États membres ». Avec « des bureaux de liaison chargés d'échanger des informations sur les détachements susceptibles de poser problème ». De plus la « la Cour a adopté une jurisprudence qui encadre strictement les possibilités de contrôle des États membres, cela au détriment de la protection des salariés » souligne le rapporteur.

Par exemple : dans l 'arrêt Viking du 11 décembre 2007, la Cour a jugé que toute action collective destinée à imposer une convention collective à une entreprise étrangère constituait une restriction à la liberté d'établissement. Avec l'arrêt Laval du 18 décembre 2007, la Cour estime en outre impossible d'exiger des entreprises de détachement une adhésion à des conventions collectives qui ne sont pas d'application générale.
Ainsi, même si l'entreprise qui détache ses salariés respecte l'ensemble des règles imposées contenu dans le « noyau dur » de l'État d'accueil, le maintien de l'affiliation au système de sécurité sociale du pays d'établissement peut représenter une économie en termes de coûts salariaux. L'écart entre le coût salarial d'un résident français dans le secteur de la construction et celui d'un salarié détaché de Pologne peut ainsi atteindre près de 30 %.

L'absence de procédure de contrôle efficace, faute de coopération entre États membres, contribue à banaliser la fraude.

Plus la relation du travailleur détaché et de l'entreprise à laquelle il est rattaché est complexe, moins le coût est élevé et plus le droit social du pays d'accueil est difficile à mettre en oeuvre. Le cas de la société Atlanco est cité comme exemple : retenue par  Bouygues pour mener pour l'EPR à Flamanville, cette société de travail intérimaire irlandaise, basée à Chypre, recrutait des travailleurs polonais rémunérés aux conditions de leur pays, leurs heures étant par ailleurs insuffisamment comptabilisées.

La banalisation de la fraude s'étend aux petites entreprises, incitées à suivre le mouvement pour rester concurrentielles, elles sont encouragées à le faire par une impunité quasiment garantie par les failles du dispositif.
La fraude est organisée en cascade de sous-traitants - jusqu'à une douzaine d'échelons parfois - et sociétés « boite aux lettres» au sein du pays d'envoi. Ces entreprises n'ont pas de réelle activité au sein du pays.

Les conditions d'emploi sont parfois semblables à de l'esclavage : salaires impayés, absence de protection sociale, dangerosité des postes occupés, hébergement de fortune.
Extrait de l'état des lieux présenté au Sénat

Pour une autre directive

Les abus constatés ont conduit la Commission européenne, à proposer une amélioration de la directive de 1996. Le but est de :
- Renforcer les moyens de prévention et de lutte contre les abus en intégrant  dans la norme les principaux enseignements de la jurisprudence de la Cour de l'autre.
- Caractériser les situations de détachement pour  ainsi détecter plus rapidement les fraudes. Ainsi s'assurer que l'entreprise qui détache ses salariés exerce réellement une activité substantielle dans le pays où elle est affiliée.
- Renforcer la coopération administrative entre les États membres
- Définir les mesures que peut imposer l'État d'acceuil à une entreprise étrangère détachant des travailleurs sur son territoire.
- Renforcer la protection des travailleurs du secteur de la construction principalement concerné par le phénomène de sous-traitance.
- Instituer le mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d'ordre. Le donneur d'ordre peut ainsi être tenu responsable du non-paiement par son sous-traitant direct du salaire minimal, de tout arriéré ou de tout prélèvement indu sur la rémunération du travailleur détaché. Le texte laisse la possibilité aux États membres d'étendre ce dispositif à d'autres secteurs.
- limiter la chaîne de sous-traitance à trois échelons comme en Allemagne ou en Espagne. La clause de responsabilité solidaire du donneur d'ordre ne répond qu'imparfaitement au défi de la sous-traitance en cascade.
- Imposer des clauses de responsabilité sociale d'entreprise (RSE) dans les cahiers de charges d'achat de prestations. En cas de non-respect de la législation sur le détachement, ces clauses entraîneraient la rupture du contrat.
- Autoriser les syndicats à engager des procédures judiciaires ou administratives sans l'approbation du travailleur, celui-ci étant souvent soumis à une forme de pression.
- Réviser le règlement sur l'affiliation au régime de sécurité sociale de l'État d'envoi pour prévenir les situations de faux détachement et limiter les pratiques « d'optimisation sociale ».


Voir le texte de résolution voté à l'unanimité par le Sénat

Et en attendant, en pratique ?

Nos hommes politiques réfléchissent, préparent des textes, les votent à l'unanimité, c'est bien mais en attendant ?
Le rôle des syndicats, sur place n'est-il pas de protéger les travailleurs, d'où qu'ils viennent. Le statut unique sur un même site qu'ils proposent à Saint-Nazaire paraît être, assez proche de la directive de 1996. Mais qui la défendra avec assez de détermination ? Les syndicats sont-ils capables d'exiger cette appication, en ont-ils vraiment l'envie, ou préfèrent-ils se concentrer sur d'autres revendications ? Pourtant celle-ci pourrait être la clef qui ouvrirait bien des portes.
Le FN « ne parle pas aux cocos », la CGT « ne parle pas aux fachos ». Chacun dans son coin, préférant s'invectiver alors que pour des motifs très différents, ceux-là et les autres, pourraient agir, pas en commun personne ne leur demande, mais sur le même sujet : « l'intérêt supérieur des travailleurs ».

Ce n'est pas simple et les délais sont bien courts pour obtenir de tels résultats, comment faire alors pour que la loi actuelle soit respectée : les conditions de travail, les horaires, les taux de salaires... ?
Avec les syndicats et les salariés ? Les inspecteurs du travail ? Les contrôleurs de l'Urssaf en lien avec leurs homologues des pays membres ? Les services fiscaux ? Chacun dans son domaine.
L'État, la Région, le Département, la Ville de Saint-Nazaire les syndicats et STX, diront-ils à l'occasion de l’énorme chantier qui débute  « nous allons nous attaquer à ce problème tous ensemble et mobiliser les services, et les organismes de contrôle pour que les règles soient respectées, c'est notre devoir, notre dignité et la sécurité de notre économie» ?
Si STX déclarait qu' il intègre  dans ses contrats des clauses de responsabilité sociale d'entreprise et qu'il les fera appliquer dès le premier écart, à quelque degré de sous-traitance qu'il se remarque ; si les syndicats s'annonçaient prèts à s'engager pour défendre les droits de leurs « camarades détachés », systématiquement, et qu'ils le veuillent ou non (à cause des pressions), si l'Inspection du travail  disait qu'elle sera particulièrement vigilante et qu'elle se dotera de moyens supplémentaires, si... Alors les fraudeurs pourvoyeurs de main d'oeuvre « low cost » y regarderaient peut-être à deux fois avant de proposer des contrats « plus interessants ».
Quels sont les politiques qui s'annonceront comme étant non seulement « sensibles à la situation des salariés … etc.. » débitant tous les lieux communs politiquement corrects qui ne mangent pas de pain,  mais surtout« impliqués dans la lutte contre le dumping social » en proposant des solutions applicables avant que les travailleurs déplacés arrivent.
L'emploi reste la principale préoccupation des citoyens, lutter contre le dumping social c'est préserver l'emploi local, et la dignité des travailleurs déplacés. Tous en conviennent, mais qui en fera son cheval de bataille ?
Le Sénateur Yannick Vaugrenard pourrait être l'un d'eux, lui qui a proclamé au Sénat cette semaine :(voir son intervention«C'est le devoir de l'Europe que de veiller au respect du droit des travailleurs partout où ils exercent. C'est également son devoir que de lutter, avec les moyens nécessaires, contre le dumping social qui met les travailleurs en concurrence, renforçant le sentiment nationaliste et de repli sur soi. Une fois encore, affirmons que l'Europe sera sociale ou qu'elle ne sera pas ! »
Le devoir de l'Europe, certes, mais quelle suite donnera-t-il en pratique à sa déclaration, le sénateur ?
ll le dit, la Loire-Atlantique est l'un des 10 déparment les plus impactés. Il dispose à Saint-Nazaire d'un superbe laboratoire pour montrer que les hommes politiques ne sont pas là seulement pour faire voter de nouvelles lois, aussi belles soient-elles, mais aussi pour faire respecter celles qui sont en vigueur.  À suivre...
 

Auteur : LY | 20/10/2013 | 4 commentaires
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Vos commentaires

#1 - Le 21 octobre 2013 à 19h43 par UMPHilare
En attendant, prés de 600 salariés de STX, essentiellement des ouvriers sont en chômage dit partiel, alors qu'un nombre supérieur de Polonais sont au travail ; Pourrait commencer par là le sénateur donneur de leçons ! il se lance quand pour y mettre fin
#2 - Le 22 octobre 2013 à 12h52 par bib
je plussoie Umphilare sur son commentaire d'hier.

Par ailleurs, l'administration fiscale et sociale sait très bien nous mettre en demeure d'appliquer tel texte et telle procédure.

Elle n'a qu'à se mettre en demeure elle-même de vérifier l'application des textes entre états. Il parait que la gauche s'enorgueillit de s'occuper de l'être humain et que "le changement, c'est maintenant". Qu'elle le fasse !
#3 - Le 24 octobre 2013 à 10h33 par Papijean
là où la Droite et les UMP n'ont cessés de faire diminuer le nombre de tous les fonctionnaires de TOUS les services de contrôles ( pour laisser place nette à leurs "amis" ? ) , face la leçon à la gauche ....
laissez moi rire !!!
rappelez moi le nom du PDG du groupe Synergie , chantre du non paiement de ces cotisations et chantre du libéralisme poussé à son horreur ...
pouah ...
#4 - Le 25 octobre 2013 à 10h15 par UMPHilare
Papijean,
Y a pas besoin d'effectifs considérables ou nouveaux pour constater ce qui se passe pour la navale. Il suffit de le vouloir et on ne peut que constater que non seulement cette volonté n'existe pas plus aujourd’hui qu'hier mais qu'avec les socialistes au pouvoir, on a inventé les dispositifs pour laisser à la maison les ouvriers d'ici pour faire travailler ceux venus d'ailleurs !

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